Démembrement de propriété, à quoi ça sert ?
Le droit de propriété, tel que défini par l’article 544 du Code civil, confère à son titulaire la pleine jouissance d’un bien, c’est-à-dire le droit d’en user, d’en percevoir les fruits et d’en disposer. Toutefois, ce droit peut être scindé en deux composantes distinctes : l’usufruit et la nue-propriété. Cette opération, appelée démembrement de propriété, est au cœur de nombreuses stratégies patrimoniales et fiscales.
En pratique, le démembrement est utilisé aussi bien pour préparer une succession que pour optimiser un investissement immobilier ou encore pour réduire l’assiette taxable à l’IFI. L’actualité fiscale récente lui donne une importance renouvelée : la loi de finances 2025 a introduit des ajustements significatifs, notamment en matière de plus-values immobilières, de location meublée et de TVA applicable à la location courte durée
Les fondements juridiques du démembrement de propriété
Définition et cadre légal
Le démembrement repose sur une séparation des attributs de la propriété :
● L’usufruit (art. 578 C. civ.) confère le droit d’utiliser le bien et d’en percevoir les revenus. L’usufruitier peut habiter le logement ou en percevoir les loyers.
● La nue-propriété représente le droit de disposer du bien, mais sans jouissance immédiate. Le nu-propriétaire récupère la pleine propriété à l’extinction de l’usufruit.
● La pleine propriété résulte de la réunion de ces deux droits.
Le démembrement est souvent mis en place par donation ou succession, mais peut aussi résulter d’un investissement immobilier (notamment dans les résidences gérées).
Typologies de démembrement
On distingue deux grandes formes :
● Le démembrement viager, qui prend fin au décès de l’usufruitier.
● Le démembrement temporaire, limité à une durée déterminée (ex. 15 ans).
Il existe également le quasi-usufruit, qui concerne les biens consomptibles (liquidités, valeurs mobilières). L’usufruitier peut en disposer librement, mais il doit restituer une valeur équivalente à l’extinction. Ce mécanisme a été renforcé par l’article 774 bis du CGI (loi de finances 2024), toujours applicable en 2025.
Répartition des obligations
Le Code civil fixe la répartition des charges :
● L’usufruitier supporte les dépenses d’entretien courant (art. 605).
● Le nu-propriétaire prend en charge les grosses réparations (art. 606).
Cette dualité peut parfois engendrer des litiges si les travaux sont mal définis.
Le démembrement, outil de transmission patrimoniale
Anticiper et réduire les droits de succession
Le principal intérêt du démembrement est d’alléger la fiscalité successorale. Lorsqu’un bien est transmis en nue-propriété, l’administration fiscale applique une décote calculée selon l’âge de l’usufruitier (barème de l’art. 669 CGI).
● Exemple : un parent de 65 ans transmet à ses enfants la nue-propriété d’un appartement de 400 000 €. La valeur fiscale retenue pour la nue-propriété est de 60 %, soit 240 000 €. Après application de l’abattement de 100 000 € par enfant (art. 779 CGI), les droits de donation sont considérablement réduits.
● À son décès, l’usufruit s’éteint sans taxation supplémentaire, permettant aux enfants de récupérer la pleine propriété.
Réduction de l’IFI
L’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) frappe le patrimoine immobilier net taxable supérieur à 1,3 million d’euros (art. 964 CGI). En cas de démembrement, l’usufruitier est redevable de l’IFI sur la valeur en pleine propriété (art. 968 CGI), tandis que le nu-propriétaire n’est pas imposable.
En 2025, les règles de transparence ont été renforcées pour les SCI familiales : les bénéficiaires effectifs doivent être déclarés, ce qui limite certaines stratégies de dissimulation. Le démembrement conserve toutefois un intérêt, notamment lorsque les parents conservent l’usufruit tout en transmettant la nue-propriété à leurs enfants, réduisant ainsi l’assiette taxable future.
Le démembrement comme levier d’investissement immobilier
A. L’acquisition en nue-propriété : un prix d’achat décoté
Le démembrement est également utilisé dans des montages d’investissement. Un particulier peut acheter la nue-propriété d’un logement avec une décote allant de 30 à 40 %. L’usufruit est acquis simultanément par un bailleur institutionnel (souvent un bailleur social) qui gère le bien et perçoit les loyers pendant 10 à 20 ans.
Au terme du démembrement, le nu-propriétaire récupère la pleine propriété sans frais supplémentaires, avec une valorisation automatique de son actif.
● Exemple : un appartement en pleine propriété vaut 200 000 €. L’investisseur acquiert la nue-propriété pour 120 000 € et récupère la pleine propriété au bout de 15 ans, sans avoir eu à gérer de locataires.
B. Le démembrement et la fiscalité LMNP
Le Loueur en Meublé Non Professionnel (LMNP) est une alternative courante. Jusqu’en 2024, ce statut permettait d’amortir le bien, réduisant fortement l’imposition sur les loyers. Mais depuis le 15 février 2025, les amortissements doivent être réintégrés dans le calcul de la plus-value imposable lors de la cession.
Conséquence : un investisseur en LMNP qui revend un bien après 10 ans verra son impôt sur la plus-value augmenté. Dans ce contexte, le démembrement peut être utilisé comme stratégie :
● Soit en transmettant le bien avant la cession (donation de la nue-propriété),
● Soit en le transformant en résidence principale un an avant la vente (exonération sur la plus-value).
C. L’impact de la TVA sur la location courte durée
La fiscalité de la location meublée de courte durée (LCD) a également évolué. Depuis 2024, la TVA à 10 % s’applique si certaines conditions de para-hôtellerie sont réunies : accueil, fourniture de linge, ménage.
● Franchise en base de TVA : jusqu’à 37 500 €.
● Assujettissement obligatoire : au-delà de 85 000 € de chiffre d’affaires ou si plusieurs services para-hôteliers sont proposés.
Dans le cadre d’un démembrement, lorsque l’usufruit est confié à un bailleur social ou institutionnel, c’est lui qui assume le risque TVA. Le nu-propriétaire est donc protégé de cette complexité.
Charges et obligations fiscales
A. Charges déductibles
De nombreuses charges sont déductibles en LMNP :
● Taxes (foncière, CFE),
● Frais de notaire et d’agence (selon option en charges ou amortissables),
● Mobilier et travaux,
● Assurances, frais financiers et de comptabilité.
En revanche, la réduction d’impôt de 2/3 des frais de CGA (jusqu’à 915 €) a été supprimée en 2025, réduisant l’intérêt de l’adhésion à un centre de gestion agréé.
B. Plus-values et cession d’un bien démembré
En principe, la plus-value est calculée sur la valeur en pleine propriété, même si seule la nue-propriété est cédée. La réforme de 2025, avec la réintégration des amortissements en LMNP, accentue la fiscalité sur les biens cédés.
Les stratégies d’optimisation consistent à :
● Réaliser une donation avant cession,
● Passer par une SCI à l’IS pour lisser la fiscalité,
● Transformer le bien en résidence principale avant la vente.
Cas pratiques
1. Transmission familiale : Un parent de 70 ans donne la nue-propriété d’un bien de 400 000 € à ses enfants. Valeur fiscale retenue : 240 000 €. Après abattement, les droits de donation sont réduits, et les enfants récupèrent la pleine propriété au décès.
2. Investissement locatif : Achat en nue-propriété d’un appartement de 200 000 € pour 120 000 €, usufruit cédé pour 15 ans à un bailleur social. Au terme, le nu-propriétaire retrouve la pleine propriété, valorisée sans effort.
3. IFI : Un contribuable détenteur de 2 M€ de patrimoine transmet la nue-propriété de son immeuble à ses enfants. Seul l’usufruit reste taxable, réduisant l’assiette imposable.
4. LMNP en 2025 : Un investisseur revend un bien acquis en LMNP pour 300 000 €, après avoir amorti 50 000 €. Avant réforme : plus-value calculée sur 100 000 €. Après réforme : plus-value recalculée sur 150 000 €, soit une imposition alourdie.
Tableau récapitulatif (2025)
Conclusion
Le démembrement de propriété constitue en 2025 un instrument patrimonial de premier plan. Il permet d’anticiper la transmission, et d’investir à moindre coût. Toutefois, la loi de finances 2025 a introduit des contraintes nouvelles, en particulier sur la fiscalité des plus-values en LMNP et sur la location meublée de courte durée.
S’il conserve toute son efficacité, le démembrement exige désormais une gestion prudente et personnalisée. Pour en tirer pleinement parti, l’accompagnement d’un notaire ou d’un expert-comptable reste indispensable afin de sécuriser les opérations et de s’adapter à un cadre fiscal de plus en plus mouvant.



