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Immobilier : « Risque de taxation des plus-values des résidences principales : quelles conséquences pour les ménages ? » 


Depuis plusieurs mois, un débat anime les couloirs de Bercy : faut-il taxer les plus-values réalisées sur les résidences principales ?
Longtemps épargnée par la fiscalité, cette niche emblématique du patrimoine des classes moyennes pourrait être remise en cause au nom de la “justice fiscale” et de la “neutralité économique”.
Mais une telle mesure toucherait d’abord ceux pour qui le logement représente le principal actif de vie, bien avant les grandes fortunes. 

Le cadre actuel : une exonération totale depuis plus de 40 ans 

1. Une exception française justifiée historiquement

Depuis la loi de finances de 1976, les plus-values sur les résidences principales sont intégralement exonérées d’impôt, quel que soit le montant du gain ou la durée de détention (art. 150 U II-1° du CGI).
L’objectif : encourager la propriété et éviter de pénaliser la mobilité résidentielle.
Cette exonération s’applique même en cas de forte plus-value liée à la hausse du marché, tant que le bien constitue la résidence principale au jour de la cession.

Exemple :
Un couple vend sa maison 600 000 €, achetée 300 000 € dix ans plus tôt.
La plus-value de 300 000 € est totalement exonérée d’impôt et de prélèvements sociaux (17,2 %).

2. Les arguments de stabilité sociale

Cette exonération, qui concerne plus de 9 ventes immobilières sur 10 (source : Notaires de France, avril 2025), représente une forme d’équité intergénérationnelle.
Elle permet à la classe moyenne d’accéder à la propriété, de financer un nouveau projet, ou de constituer un capital retraite.

Selon l’INSEE (Revenus et patrimoine des ménages, édition 2024), plus de 70 % du patrimoine total des classes moyennes est constitué d’immobilier résidentiel, contre 25 % seulement pour les ménages les plus aisés (dont le patrimoine est largement financier).

3. Un coût budgétaire perçu comme élevé

Pour Bercy, l’exonération des résidences principales représenterait près de 4 milliards d’euros de manque à gagner annuel (rapport IGF 2024).
Un chiffre qui alimente les réflexions du Conseil d’analyse économique (CAE) et du Trésor sur la création d’un impôt “modéré” sur les plus-values des résidences principales de grande valeur.

Les pistes étudiées pour une éventuelle réforme en 2025–2026 

1. Un projet évoqué mais politiquement explosif

Le Projet de Loi de Finances 2025 n’a pas inclus de mesure de taxation directe, mais le groupe de travail sur la fiscalité du logement a rouvert le débat.
Deux hypothèses circulent :

  • Scénario 1 : taxation partielle des plus-values au-delà d’un seuil (ex. : 200 000 € ou 300 000 € de gain).
  • Scénario 2 : maintien de l’exonération mais avec une limitation à un bien par décennie, pour éviter les “rotations spéculatives”.

Le Conseil d’analyse économique (rapport mars 2025) plaide pour une taxation différenciée, arguant que “les plus-values immobilières non imposées creusent les inégalités patrimoniales”.
Mais les associations de propriétaires (UNPI, FNAIM) dénoncent un “mépris fiscal envers les classes moyennes”, rappelant que l’immobilier principal n’est pas un actif spéculatif, mais une sécurité de vie.

2. Les risques d’effets pervers

Une telle réforme risquerait de :

  • Freiner la mobilité résidentielle, déjà en baisse (-12 % de ventes sur un an en 2024 selon la DGFIP).
  • Aggraver la crise du logement, en décourageant les reventes et la mise sur le marché de logements familiaux.
  • Une telle mesure affecterait directement les ménages modestes vivant dans des zones tendues (Île-de-France, littoral atlantique, Alpes), où la hausse des prix n’est pas due à la spéculation mais à la rareté.

Exemple concret :
Un couple ayant acheté un appartement à Paris en 2000 pour 250 000 € et le vendant en 2025 à 900 000 € réalise une plus-value de 650 000 €.
Une taxation à 15 % représenterait près de 100 000 € d’impôt, réduisant d’autant leur capacité à acheter plus petit en province.

3. Les rares exceptions existantes déjà encadrées

L’administration fiscale prévoit quelques situations spécifiques où l’exonération ne s’applique plus, notamment :

  • Lorsque le bien n’est plus la résidence principale au moment de la vente (ex : bien loué depuis plus d’un an).
  • En cas de cession de terrains détachés du jardin ou dépendance, imposés comme plus-values immobilières classiques.
  • Ou lors de la vente d’une ancienne résidence principale après divorce ou déménagement, si le délai entre le départ et la vente excède un an (BOI-RFPI-PVI-10-40-10, 2025).

Les conséquences économiques et sociales d’une telle mesure

1. Un signal négatif pour la propriété des classes moyennes

La taxation des plus-values sur les résidences principales remettrait en question l’équilibre traditionnel du système fiscal français : celui qui garantit qu’un foyer qui travaille, épargne et rembourse son crédit pendant 20 ans, ne soit pas pénalisé au moment de revendre son logement.

En 2025, 65 % des ménages propriétaires ont encore un emprunt en cours ( source  : Observatoire Crédit Logement).
Taxer la plus-value reviendrait donc à imposer la seule richesse non spéculative des ménages moyens.

2. Une déconnexion avec la réalité territoriale

Les gains à la revente ne reflètent pas toujours un enrichissement réel :

  • Dans de nombreuses zones tendues, la plus-value sert uniquement à racheter un bien équivalent plus cher ailleurs.
  • Dans les zones rurales, les prix stagnent ou reculent : une taxation nationale uniforme pourrait soulever des questions d’équité territoriale.

Cas illustratif :
À Annecy, un T3 acheté 350 000 € en 2012 vaut aujourd’hui 520 000 € → plus-value latente  de 170 000 €.
Mais le même bien équivalent à Nantes ou Lyon coûte plus cher : le gain est donc théorique pour les propriétaires.

3. Une alternative plus juste : la taxation différenciée des résidences secondaires

Plutôt qu’un impôt sur les résidences principales, plusieurs experts plaident pour un renforcement ciblé sur les résidences secondaires et les locations meublées touristiques, déjà privilégiées fiscalement.
Le PLF 2026 prévoit d’ailleurs :

  • Une hausse de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires dans les zones tendues (+60 % possible).
  • l'Assemblée nationale, les députés ont voté un amendement visant à fusionner la taxe sur les logements vacants et la taxe sur les résidences secondaires
  • L’Assemblée nationale a adopté, dans le cadre de l’examen du budget 2026, un amendement visant à raccourcir de cinq ans la durée de détention ouvrant droit à exonération totale d’impôt sur la plus-value immobilière des résidences secondaires. Initiée par le député Corentin Le Fur (Les Républicains), la mesure fait passer cette durée de 22 à 17 ans pour les biens non affectés à la résidence principale.

https://www.vie-publique.fr/loi/300444-budget-de-letat-2026-projet-de-loi-de-finances-plf-2026

Tableau récapitulatif : ce que changerait une taxation des plus-values

Conclusion

Taxer la plus-value sur la résidence principale reviendrait à fragiliser la propriété moyenne, pilier du modèle français.
Si la mesure peut sembler “équitable” sur le papier, elle frapperait d’abord les foyers qui ont investi leur épargne dans la pierre plutôt que dans les marchés financiers.

Plutôt qu’un alourdissement fiscal, la réforme du logement en 2025 devrait viser une stabilisation durable du marché, en encourageant la mobilité résidentielle et la rénovation énergétique, non en pénalisant la propriété.

Pour la majorité des ménages, le logement constitue avant tout un élément de stabilité et de sécurité patrimoniale.

Sources : 

  • BOFiP, BOI-RFPI-PVI-10-40-10, mise à jour 2025
  • INSEE, Revenus et patrimoine des ménages, édition 2024
  • IGF, Rapport sur les dépenses fiscales immobilières, 2024
  • Conseil d’Analyse Économique, Note “Fiscalité du logement et équité”, mars 2025
  • Notaires de France, Note de conjoncture immobilière, avril 2025
  • DGFIP, Données sur la mobilité résidentielle 2025

Profil de vendeur Situation actuelle Après réforme hypothétique Impact estimé
Couple propriétaire à Paris depuis 2000 Exonération totale 15 % sur plus-value > 300 000 € -100 000 € net
Retraité vendant sa maison en province Exonération totale Taxation partielle au-delà d’un seuil -15 000 à -30 000 €
Investisseur en LMNP Plus-value déjà imposée (réintégration amortissements) Inchangé Neutre
Jeune ménage revendant pour racheter plus grand Exonération totale Risque de taxation “technique” si délai > 1 an -10 000 € à -20 000 €